Le 1er mars 2011, l’Institut de France a tenu une séance solennelle sur le thème « Les nouveaux défis de l’éducation »
Y ont pris la parole, après une introduction par Gabriel de Broglie (chancelier de l’Institut de France), Xavier Darcos (secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences Morales et Politiques), Pierre Léna (de l’Académie des Sciences) et Michel Serres (de l’Académie française).
Le discours de Pierre Léna (en pièce attachée) est titré « La science en héritage ». J’en recopie ci-dessous, avec quelques commentaires, des extraits, dans plusieurs desquels il évoque les mathématiques, et qui recoupent les préoccupations des IREM
Jean-Pierre Raoult
Président du comité scientifique des IREM
a. Sur les enseignements à tirer des enquêtes internationales
(point à l’ordre du jour du comité scientifique des IREM du 18 mars 2011)
Les enquêtes internationales PISA placent la France à la moyenne, ce dont certains se contenteraient. Mais cette moyenne est une illusion, car elle résulte de ce grand écart entre le tiers excellent et le tiers à l’abandon. La Nation consacre d’immenses ressources à l’éducation– bien que la dépense éducative nationale, croissante en valeur absolue depuis quinze ans, représente en proportion une part décroissante de la richesse du pays -. Devant un tel effort consenti, ne peut-on attendre de cette école qu’elle abolisse pour partie de si lourds handicaps sociaux ou familiaux ? ... Or la science est aujourd’hui devenue le symbole d’une fort rude sélection. Ceci doit changer, car l’héritage qu’elle doit transmettre est, plus que jamais, indispensable à tous les jeunes pour affronter la complexité du monde présent. Nous devons leur apprendre à prélever, organiser, comprendre, exploiter l’information surabondante qui les entoure, à aimer cette intelligence du monde que donne la science.
b. Sur les apprentissages (en particulier en mathématiques) à l’école
(passage dans lequel le voeu d’une « main à la pâte en mathématiques » pourrait, me semble-t-il, susciter une réaction du réseau des IREM, dont les réflexions existantes prouvent que pareille idée n’est peut-être pas aussi neuve qu’il y paraît à lire ce discours)
Tout d’abord, une pédagogie nouvelle, celle de l’investigation,
mélange subtil d’inductif et de déductif, pratiqué avec bonheur par l’élève : elle n’est pas si nouvelle que cela, puisque la vision d’un Georges Charpak – qu’un enfant ou un adolescent fasse des mathématiques ou des sciences de la nature, autant que d’en apprendre – fut celle de Faraday, de Jean Perrin et de bien d’autres, faisant écho au leidenschaftlich neugierig , ce « passionnément curieux » d’Albert Einstein ....
Dans notre école primaire, ne met-on pas à l’excès l’accent sur des apprentissages mécaniques du lire et écrire, oubliant par exemple que l’usage du cahier d’expériences, tel que le pratique « La main à la pâte », ne le cède en rien, ni en précision, ni en créativité, à l’écriture d’une poésie ? Vous avez engagé, Monsieur le ministre, une lutte contre l’innumérisme. Vous déplorez que nos CM2 ne sachent plus leurs tables de multiplication, tant cela va plus vite sur leur calculette ou leur téléphone. Pourtant nous savons tous que ces mêmes enfants, sur leur clavier et chaque jour, excellent bien plus que nous dans l’univers numérique, où ils fréquentent des nombres sans le savoir. N’est-ce point cela aussi qu’il faudrait explorer dans
un laboratoire de mathématiques où ces élèves s’étonneraient de pouvoir mettre une couleur sous forme d’un nombre, manipulant alors multiplications aussi bien qu’ordres de grandeur ? Mutatis mutandis, une « Main à la pâte » en mathématiques réduirait sans doute l’effet anxiogène de cette discipline, effet connu qui touche plus de la moitié des filles et presque autant des garçons de 15 ans dans les pays de l’OCDE, sans compter leurs parents !
c. Sur la formation continue des enseignants
(la « mission quelque peu oubliée par les universités » dont il est question ici ne l’est en tout cas pas totalement en mathématiques, là où y contribuent les IREM)
Des professeurs accompagnés dans leur développement professionnel, au contact de la science vivante et de ses acteurs. L’accent mis, ces dernières années, sur le processus de mastérisation dans nos universités fait oublier la bien mauvaise situation de notre pays quant à la formation continue de son corps enseignant. ... Toutes les enquêtes internationales corrèlent la qualité de l’enseignement aux efforts durables de développement professionnel des professeurs ... Il faudra bien sortir un jour de l’impossible arbitrage actuel entre temps de présence devant les élèves et temps de vacances, pour faire place à des moments de développement professionnel structuré au cours de la carrière – ceci tout naturellement au sein d’universités qui avaient quelque peu oublié cette mission mais dont bon nombre semblent prêtes à la ranimer.
d. Sur la pluridisciplinarité
(ce passage comporte une réflexion sur le « socle commun de connaissances » qui fera l’objet d’un débat lors de la réunion du comité scientifique des IREM le 18 mars)
Une conception plus globale des savoirs, un décloisonnement des disciplines ... Notre système d’éducation, ne sachant évidemment plus embrasser cette immensité de savoirs, traumatisé, peine à prendre un cap où beaucoup est à réinventer. Il se contente d’aménager des programmes étroitement disciplinaires ... Nous considérons plus judicieux d’extraire de cet immense corpus de savoirs un petit nombre de notions de science qui, apprivoisées avec constance et progressivité depuis la maternelle jusqu’en fin de collège, donneront à tous les clés essentielles pour lire le monde et le comprendre. C’est cela que veut notre socle commun, dont un récent rapport du Parlement révèle la bien trop lente pénétration dans un collège encombré de cloisons disciplinaires, difficiles à ébranler. Les compétences d’observation et de raisonnement, acquises grâce à l’investigation et à des expériences faites en classe, font découvrir la nature même de la science. Par exemple ceci : démontrer en mathématique n’est pas vérifier approximativement sur un dessin que les trois hauteurs d’un triangle sont concourantes. Ou cela : les explications scientifiques acceptées constituent la meilleure représentation possible des faits connus à un moment donné. Ainsi se communique, entre dogmatisme et relativisme, la subtilité de la vérité en sciences et sa lente construction historique.
e. Sur le lien avec l’enseignement du français
(Thème d’un débat en comité scientifique des IREM en juin 2008)
Enfin, autre décloisonnement, autre cloison disciplinaire à ébranler, la construction inlassable d’un lien fondamental entre science et pratique du français - ce lien que manifeste le Prix annuel décerné par nos deux Académies (l’Académie française et celle des sciences) à une classe de 6e, comme celle qui, cette année, était partie à la recherche des sens du mot source.
f. Sur l’apprentissage du raisonnement
Notre Académie propose à notre école primaire, et à son ministre, d’adopter désormais « Lire, écrire, compter, raisonner » comme les quatre fondamentaux de l’école du XXIe siècle. Dans sa lettre aux instituteurs de 1883, Jules Ferry avait fait des trois premiers un programme politique. Pourquoi ne pas accepter le défi du quatrième, et le mettre en oeuvre avec les mathématiques et les sciences de la nature, écoles privilégiées du raisonnement ?
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