J’ai délibérément exclu de ce dont je vais parler toutes références à la formation initiale pour la bonne raison que si de la formation continue on ne parle pas du tout, de la formation initiale on en parle beaucoup - peut être trop et en tous cas pas très bien - d’autre part, je n’avais pas le temps et il fallait rester dans ce cadre-là mais il est à peu près clair que beaucoup de ce que je vais dire devrait, a, forcément des relations avec la formation initiale et il faudrait penser les deux choses d’une façon conjointe. Aujourd’hui, faute de temps, je ne parlerai pas de formation initiale.
Il me semble qu’il y a deux conceptions de la formation continue, une d’entre elle a été finalement mise en évidence d’une façon assez claire et assez nette par Denise Courbon ce matin, à savoir la formation continue en tant qu’outil de remédiation : on détecte les besoins, on va voir les endroits où les choses ne se passent pas bien et l’on invoque ensuite une médecine appropriée ; la formation continue est là pour essayer d’aller faire en sorte que là où ça ne va pas ça aille un peu mieux.
Et puis face à ça il y a une autre conception qui est que la formation continue est un outil de formation, un prolongement d’une authentique formation. La formation initiale est initiale par définition donc elle est limitée et par la suite il est évident que sur une carrière de 40 et bientôt peut être de 41 années, il ne suffit pas d’avoir été formé quatre voire cinq années - même si la formation initiale est renforcée, ô combien, par l’accompagnement à une formation continuée pendant les deux ou trois premières années de formation.
Je parle d’une formation qui apporte de la connaissance, qui améliore la connaissance que nous avons de notre discipline, de la science, de l’enseignement, des élèves, des évolutions de tout cela et si le tableau général de la formation continue - le constat on l’a fait et refait- est celui d’une formation sinistrée, la formation dans la deuxième accession que je viens de décrire, c’est à dire une formation au sens plein - pas seulement une bande pour panser les plaies - ça, on peut dire que c’est complètement mort. Aujourd’hui si vous proposez une formation qui n’est pas directement liée à une demande correspondant à une priorité, à une urgence de l’institution, votre proposition ne sera même pas examinée.
Alors, je devais ne faire que des propositions mais je vais quand même partir à nouveau de quelques points du constat de carence de la formation continue, pour pouvoir ensuite présenter quelques propositions qui vont tout naturellement s’appuyer dessus.
Je rappelle en vrac quelques constats.
D’abord l’illisibilité totale des plans de formation. Peut-être que Lyon une fois de plus est une exception, je ne sais pas, je n’ai jamais vu de plan de formation de l’ Académie de Lyon mais je peux vous dire que dans les PAF des trois académies de la région parisienne c’est totalement illisible ; pour y trouver ses propres inscriptions, que l’on a inscrites soi-même, c’est la croix et la bannière.
Il y a illisibilité, il y a diversité d’une académie à l’autre - cette absence d’unité entre Académies, c’est un problème récurent qui est un des problèmes cruciaux. Il y a le fait que ces plans de formation sont reconstruits en repartant de zéro chaque année ce qui est une absurdité - les collègues qui sont formateurs, voient toujours arriver avec terreur le moment où il va falloir saisir les nouvelles propositions - parce que c’est une perte d’énergie et de temps absolument gigantesque eu égard au résultat puisque l’on sait très bien que la plupart des formations qui marchent à peu près vont être reconduites. Il y a évidemment, et c’est normal, des adaptations à faire d’une année sur l’autre mais, avoir cet énorme pavé qui nous arrive et aller devoir s’inscrire dans les bonnes cases, c’est un gâchis absolument considérable.
Autre chose qui ne va pas : il me semble qu’il y a beaucoup trop de stages. Il y a eu une volonté que je n’ai jamais comprise des Académies de maintenir une offre à peu près constante en nombre de stages alors évidemment c’était au détriment de la qualité de chacun d’eux, de la durée etc.. A l’Académie de Créteil, il y avait cent stages en formation en mathématiques il y a encore quelques années, on a dû tomber à quatre-vingts c’est encore beaucoup trop, c’est absurde, il faudrait diminuer le nombre de stages. Moi, je suis un partisan de la diminution.
Il y a la coexistence de stages à visées complètement différentes. Il y a les commandes de l’institution qui sont de circonstance dictée par l’apparition de nouveautés dans les programmes. Cela peut justifier une formation de un jour ou deux jours pour apprendre à manipuler tel nouveau logiciel qui est imposé dans tous les établissements - on apprendra çà en un jour, en deux jours et puis on se débrouillera après tout tout seul.
Une formation dans l’esprit que j’ai indiqué tout à l’heure c’est tout autre chose, cela ne se fait pas en deux jours, c’est d’une nature complètement différente et vouloir avoir une présentation uniforme de tous les stages de formation, il me semble que c’est une absurdité. Il faudrait presque confier à deux opérations distinctes, ces deux genres de stages.
L’autre caractéristique c’est l’absence totale d’évaluation. On est incapable d’évaluer un dispositif de formations aussi complexe que ce que nous a montré Patrick Frétigné ce matin. Quand vous discutez avec les responsables du service formation continue de la DGESCO, ils le reconnaissent tout à fait ; ils n’ont aucun moyen de faire une évaluation ; tout ce qu’ils peuvent faire, c’est vous donner des chiffres en disant qu’il y a eu, en moyenne sur le territoire, tel pourcentage de fréquentation des stages ou des choses dans ce genre là. C’est totalement inutilisable et on voit des formations - y compris des formations d’I.R.E.M. - qui ne sont pas bonnes et qui sont reconduites d’année en année. Il n’y a aucune évaluation sérieuse.
Il y a aussi l’absence de vue à long terme. Aujourd’hui, on est en train de se préoccuper de besoins en formation qui vont se présenter dès septembre prochain. Il n’y a pas longtemps qu’on les connaît ces besoins algorithmiques, logiques des nouveaux programmes. On va mettre toute notre attention là-dessus et dans un an, on sera en train de penser à la formation en vue des nouveaux programmes de première et de terminale qui vont peut être sortir un jour. On n’a absolument pas le temps et l’occasion de réfléchir à plus long terme. Une véritable formation continue çà devrait consister à penser aujourd’hui, à ce qui va falloir faire dans cinq ans, dans dix ans. Nous avons besoin d’une vue à long terme et d’un suivi, ce qui n’est pas du tout le cas.
Nous avons besoin d’une certaine stabilité et d’une certaine continuité, et le dernier point avant de passer aux propositions, mais c’est le plus important, je pense que les formateurs qui assurent les services de formation continue ne devraient pas être rémunérés. Je m’explique. Je disais ce matin que la formation continue ne doit pas être quelque chose qui soit assurée par des gens qui font des « extras ». Ce n’est pas une prime à une activité que l’on a en plus de son activité normale. Malheureusement c’est vu comme cela aujourd’hui et c’est une erreur profonde.
Regardons comment se fabrique un stage de formation continue proposé par un I.R.E.M.. Typiquement, vous avez un groupe I.R.E.M. qui se met au travail - groupe de recherche, qui, je le rappelle associe des intervenants d’horizons très divers : des profs, des chercheurs, des profs de tous les ordres d’enseignement , des profs de taupe, des profs d’école, des inspecteurs, des chercheurs en mathématiques mais aussi en didactique des mathématiques mais aussi en histoire et épistémologie des sciences et c’est la conjonction de tous ces talents réunis, de toutes ces compétences réunies, de toutes ces connaissances de milieux différents de l’éducation réunis, qui donnent une qualité certaine aux travaux que nous faisons. A la fin de cette année ou de ces deux années de travail, en général, souvent, on produit un document ou des documents sous formes variées qui vont aider à la diffusion de nos réflexions auprès des enseignants et on fait une proposition de formation et si cette proposition est acceptée et ce qui est souvent le cas, il suit l’année d’après un stage qui est inscrit dans un PAF et auquel on va consacrer trois jours, quatre jours. Que représentent ces trois ou quatre jours par rapport à l’ensemble du processus que je viens de décrire, eh bien presque rien. Moi j’ai eu la chance de ne jamais percevoir un seul centime à titre personnel pour ma participation à des actions de formation. Pourquoi ? Parce que j’ai la chance d’être en service en poste dans une Université dans laquelle il y a un I.R.E.M. et d’avoir une partie de mon service à l’I.R.E.M.. Et il est évident pour moi - et je pense que c’est le cas pour tous ceux qui sont dans mon cas -, que dans ce service, il y a l’animation éventuelle d’un groupe, et naturellement, comme aboutissement du travail de ce groupe, la proposition d’une formation continue et la présence trois jours devant les stagiaires. Songer à se faire payer pour çà alors que c’est dans son service, c’est évidemment absurde. Malheureusement, évidemment, pour les collègues du secondaire, cela ne marche pas comme ça. C’était peut être le cas quand ils avaient des décharges mais aujourd’hui il n’en est plus question, et donc on assiste à cette situation absolument lamentable de négociations infinies avec le service du rectorat pour savoir si on a été 12 h ou 9 h 30 devant les stagiaires, si c’était la co-animation ou non, si il faut compter la co-animation à 20%, 30 % ; tout çà porte sur des sommes qui sont essentiellement ridicules et comme je le disais, tout cela est considéré comme de l’extra, pas du tout comme du service ordinaire ; moi ce que je dis c’est qu’il faut que çà fasse partie du service ordinaire et que la partie qui est en amont de la formation c’est-à-dire celle qui est représentée typiquement par le travail du groupe I.R.E.M. soit prise en considération, qu’elle soit reconnue et à ce moment-là, la présence devant les stagiaires deviendra une partie, une petite partie je dis bien, de ce travail.
La proposition n° 1 que j’ai déjà faite au colloque de l’Inspection Générale de la Sorbonne à l’automne dernier, c’est d’adopter le principe d’une formation continue pour tous les enseignants du primaire et du secondaire, chacun disposant tout au long de sa carrière d’un crédit de formation continue qui représente l’équivalent d’un semestre sabbatique tous les quatre ans. Chacun pourrait ainsi retourner à l’Université pour une véritable formation à plein temps pendant un semestre chaque quatre ans ou alors, s’il le préfère, utiliser ce crédit autrement en le fractionnant. Par exemple, typiquement pour quelqu’un qui voudrait préparer un concours interne - auquel on a malheureusement peu de chance d’être reçu lors de la première tentative -, il faut concevoir deux à trois années consécutives pour se consacrer à cette formation avec évidemment un volume horaire moindre, mais le principe devrait être d’ année sabbatique.
La deuxième idée, s’appuie sur le constat qu’il n’y a pas de coordination entre les académies. Nous avons beaucoup souffert de la décentralisation qui a donné aux académies des prérogatives tellement importantes que cela nous a privé d’outils, je ne dirai pas de pilotage, mais de coordination et de visibilité de ce qui se fait sur l’ensemble du territoire national. Il me semble qu’il faudrait disposer d’un outil et je propose moi la création d’un Institut National de la Formation Continue des Enseignants qui soit doté de moyens propres, c’est-à-dire de postes à temps partagé - car autant je trouve la situation actuelle absurde, autant je trouverais tout aussi absurde une situation où la formation serait confiée à des gens dont çà seraient l’occupation unique et à 100% ; je trouve que là, il y a une menace de sclérose tout aussi grave que la situation chaotique que nous observons actuellement -. Un tel Institut aurait la charge de coordonner la formation dans chaque discipline, d’être un observatoire de cette formation et de se doter de moyens d’en faire une évaluation sérieuse, de coordonner le travail de groupes de recherche dont le statut devait être enfin reconnu officiellement, autant par le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement secondaire que par celui de l’enseignement supérieur et par les Universités. Aujourd’hui, la situation c’est qu’à l’Université on dit : « votre recherche c’est une plaisanterie, ce n’est pas de la recherche » et dans l’enseignement secondaire, on nous dit : « Ah bien vous faites de la recherche, vous dépendez donc de l’Université on ne vous connaît pas ». Il faut absolument reconnaître ce travail de recherche dans les groupes, il faut qu’ils se créent des laboratoires dans les Universités qui soient des laboratoires de recherche sur l’enseignement qui s’inspirent de ce que sont les groupes I.R.E.M.. Il faudrait aussi qu’il y ait une orientation d’une politique de formation des formateurs, il faut que cet institut national prenne en charge l’organisation des indispensables rencontres et colloques périodiques que nous organisons dans des conditions toujours difficiles comme vous le savez très bien : qui va payer le déplacement de telle personne qu’on a invitée qui vient de l’académie de Toulouse et qui va rembourser les frais des membres de la commission inter-IREM etc...? il faut qu’il y ait un outil national qui permette de rendre çà vivable car actuellement ce n’est pas le cas.
Il y a un autre point très important aussi : il faut développer une formation continue interdisciplinaire. Aujourd’hui, c’est impossible d’organiser des formations continues sérieusement, destinées à des publics de professeurs de disciplines différentes. Nous avons des exemples à l’I.R.E.M. de Paris VII ou Michèle Artigue fait une formation absolument remarquable qui s’adresse à des professeurs de physique de SVT, de sciences physique et de maths. C’est épouvantablement compliqué à mettre en place et une fois que c’est mis en place, c’est très difficile d’avoir les enseignants qui viennent la suivre. Il faudrait vraiment de se doter de moyen pour que ça puisse marcher.
Vous avez remarqué que les missions que j’assignerais à cet institut ressemble pas mal à celles que nous montrait Eric Barbazo ce matin, qui avaient été assignées aux IREM lors de leur création. Alors, oui ce n’est pas très étonnant, je trouve qu’en effet, il y a lieu de s’appuyer là-dessus ; je citerais aussi à nouveau le fameux colloque de l’Académie des Sciences d’octobre 2007 et le rapport de ce colloque dans lequel sur ce constat de carence totale de la formation continue, il y a une exception qui est mise en avant, c’est celle des I.R.E.M.. Cette exception des IREM, est due au fait que nous sommes tous excellents, mais elle est quand même surtout due au fait que nous nous appuyons sur un dispositif qui est raisonnable, parce qu’il y a tout ce travail en amont. Tant que tout ce travail en amont ne sera pas reconnu, à mon avis, rien ne marchera. Et puis enfin, on me dira que c’est complètement utopique, que mon affaire coûte beaucoup trop cher dans l’état actuel des choses, que je ne suis pas dans l’air du temps, que ce n’est même pas la peine d’y penser, que jamais les moyens permettant de faire tout ce que je dis ne seront développés. Alors moi, je dis que c’est vrai, mais c’est une cause nationale et à une cause nationale, il faut répondre par des propositions ambitieuses et qui éventuellement coûtent cher. Alors on est unanime sur le constat de carence, je n’aurai pas la prétention de dire qu’on est unanime sur les propositions que je viens de faire loin de là, mais je pense qu’il est urgent que la communauté de l’enseignement, en particulier en mathématiques – mais ce que je dis a l’ambition, peut être excessive, de pouvoir concerner aussi toutes les disciplines- , se mette d’accord sur un minimum de solutions qui recueille le consensus et de présenter ces solutions. Pour cela, on a besoin d’être soutenu au plus haut niveau et j’espère que ce sera le cas, j’ai même bon espoir que nous serons suivis parce que je ne peux pas imaginer que les gens qui ont avec une telle unanimité dit que la situation était catastrophique puissent tout à coup refuser de porter des propositions raisonnables qui sont tout simplement la conséquence logique de ce constat.
Commentaires