Cela devient un peu compliqué d’intervenir dans le débat, car au fur et à mesure des discussions, j’ai envie de répondre à d’autres sujets en plus que ceux que j’avais préparés à la suite des introductions des conférenciers.
Juste quelques questions concernant les formateurs : où, comment et pourquoi allons-nous former des formateurs ? Quel sera le contenu de la formation ? Ceci est un vrai sujet de préoccupation car être formateur c’est quelque chose qui s’apprend, ce n’est pas inné. Je dirais gentiment qu’un bon animateur I.R.E.M. n’est pas forcément un bon formateur. Voilà, c’était pour répondre à ton intervention.
Sinon une question et des remarques et alors là je vais un peu mettre les pieds dans le plat.
Pendant ce séminaire nous n’avons pas eu d’aperçus de la formation continue dans les pays étrangers mais je me souviens qu’à un comité scientifique des I.R.E.M., nous avions abordé ce thème et une description de la formation continue pendant le temps de vacances et rémunérée avait beaucoup de succès dans certains pays où la formation continue ne fonctionnait plus faute d’enseignants volontaires dans des dispositifs classiques.
En France, on a vu les difficultés que les enseignants du 2nd degré ont à se détacher de leurs établissements pendant l’année et je crois que cela va être la même chose dans le 1er degré après la réforme sur la formation initiale en cours. De plus les enseignants ne sont pas du tout disponibles pour la formation parce qu’ils ont quitté leurs classes la veille et savent qu’ils les récupèrent le lendemain. Or pour entrer dans une démarche de formation et que cela soit efficace et bien cela prend un peu de temps et le moment des vacances permet plus cette disponibilité.
Il n’y a pas eu cette proposition, bon pourquoi pas j’en sais rien mais, en tout cas, ce sont des dispositifs qui existent ailleurs et qui ont l’air de bien fonctionner mais à condition que les enseignants soient bien rémunérés pendant ces vacances là.
Est-ce que vous avez un peu réfléchi à ce type de dispositif ou pas ?
Maintenant, ce n’est pas une question mais des commentaires sur ce que vient de dire Jean-Pierre Demailly. Je suis membre de la COPIRELEM, commission nationale des I.R.E.M. qui réfléchit et agit à la fois sur la formation en mathématiques des enseignants du premier degré et sur l’enseignement des mathématiques à l’école primaire et je ne peux que m’inscrire en faux avec ce que vous avez dit.
Vous faites des propositions en insistant sur la nécessité « de la modification des enseignements de mathématiques » et particulièrement à l’école primaire, et comme vous l’avez dit, vous militez pour une dimension du SLECC avec plein d’initiatives pour revenir aux sources. Mais je dirais, de quelles sources parlez-vous ? Les programmes d’enseignement que vous proposez, visibles dans les ouvrages de CP et CE1 dont vous nous avez parlés, font fi de trente ans de recherche en didactique des mathématiques. Pour ceux qui n’ont pas vu les célèbres vidéos de M. Le Bris sur l’enseignement de la technique opératoire de la division en CE1, je vous propose d’aller les voir cela est édifiant. Comment diviser 46€ par 2 en utilisant l’algorithme de la division avec la potence !! Seule une technique mécanique est imposée aux élèves, technique dénouée de tout sens. Or, nous l’avons encore entendu ce matin même, de la bouche de l’IEN de Lyon qui exposait les difficultés des élèves dans le domaine des techniques opératoires pour lesquelles les élèves ne donnaient aucun sens.
Enseigner les quatre opérations en CP et en CE1 va à l’encontre de tout ce que nous avons pu faire, de ce que nous avons pu démontrer concernant la construction du sens, par exemple, de la numération. En développant, de façon anticipée, ces techniques, on transforme les élèves en des techniciens et des automates. On a prouvé que l’apprentissage anticipé des techniques opératoires va être un obstacle à la compréhension de la construction des nombres, des phénomènes de numération et surtout du calcul mental rapide qui est tout de même une chose essentielle. Alors, je poserai la question de « quelles mathématiques pour quel citoyen » ? Est-ce que si reprendre les choses à la source c’est proposer ce qui a été enseigné il y a 30 ans, voire 40 ans avec les démarches de l’époque et d’utiliser les ouvrages que vous avez mis en libre sur le net pour pouvoir faire cela, alors là je suis totalement en désaccord avec vous.
Vous dites que pour le 2nd degré, il est tout de même plus important de reconstruire des fonctions plutôt que d’appliquer des formules. Donc ce qui est valable pour le 2nd degré ne l’est pas pour le 1er degré ? Ceci est une vraie question.
Jean-Pierre Demailly :
J’ai l’impression que la question s’adresse plutôt à moi (rire). Bon, d’abord il y a peut-être des confusions, Marc Le Bris est effectivement quelqu’un qui s’est beaucoup démené sur les ondes, mais je voudrais signaler que son école n’a jamais été officiellement membre du réseau SLECC, dont il s’est d’ailleurs éloigné en claquant brutalement la porte. Vous n’ignorez pas qu’il y a des oppositions très fortes sur ces questions d’enseignement, en particulier à l’école primaire sur la questions des « fondamentaux ». Si Marc Le Bris a exprimé des opinions très fortes, dont certaines corroborent ce que nous pouvons penser, il est néanmoins suffisamment en opposition avec certaines de nos thèses pour avoir refusé d’entrer dans le cercle. Donc déjà il y a une erreur factuelle sur ce que vous avez dit, mais plus fondamentalement, pour nous, il a toujours été question d’enseigner les quatre opérations en même temps que le « sens », et c’est précisément parce qu’il est possible d’enseigner les quatre opérations en distinguant et en opposant utilement leurs sens respectifs que nous préconisons leur enseignement simultané à l’école, dès les premiers niveaux. Il ne s’agit pas du tout d’acquérir des techniques opératoires hors de la compréhension du sens, justement c’est le contraire, et donc les ouvrages que nous proposons ont une progression extrêmement différente des progressions proposées traditionnellement dans les écoles dans la période récente. L’enseignant procède par accroissement progressif de la difficulté, en partant des tout petits nombres. Dès les deux premières semaines du cours préparatoire, on arrive au nombre 5, au nombre 6, et il est déjà possible par exemple de faire des divisions, on a 5 que l’on divise par 2 cela fait 2 paquets de 2 et il reste 1. Tout ceci s’accompagne de manipulations concrètes avec des objets, des cubes, des bûchettes, etc. Il est extrêmement important que les enfants puissent acquérir le sens de ce qu’ils font. Donc, je crois que là il y a une incompréhension assez profonde, nous enseignons les quatre opérations simultanément, précisément parce qu’il existe des méthodes qui permettent d’accéder au sens, et justement, les enfants comprennent mieux le sens de l’addition si, très tôt, ils ont une autre opération qui, clairement, a un sens différent. Faire constamment des additions pendant une année polarise les esprits sur une opération unique et, dans notre conception, qui tient compte de l’expérience tout à fait consistante qui a été menée dans nos classes, ceci ne permet pas d’acquérir le sens aussi vite ni aussi en profondeur. Mais tout ceci est extrêmement dépendant des conditions générales dans lesquelles l’enseignement est réalisé, et il est possible que les conclusions auxquelles vous aboutissez soient la conséquence logique de pratiques et de conditions d’enseignement qui ne correspondent pas aux nôtres. Les protocoles d’enseignement sont eux aussi extrêmement importants, et en tout cas le sens est certainement une chose à laquelle les classes expérimentales SLECC attachent vraiment beaucoup d’importance.
Roland Hubert :
Je voudrais rebondir sur ce point-là même si j’ai dit que je resterai sur le 2nd degré. Notre appréciation sur la philosophie de l’enseignement qui sous-tend l’expérimentation SLECC est assez à l’opposé de ce que l’on porte et, il me semble, de ce que la recherche nous a montré depuis 30 ans. Mais je n’irai pas plus loin dans la polémique.
Sur la question posée de la formation pendant les vacances et rémunérée, je dirais simplement : c’est quand même les vacances ! Qu’il soit possible à un enseignant d’avoir accès à des formations rémunérées pendant les vacances pourquoi pas. Mais vous ne pouvez pas rendre la formation continue obligatoire même rémunérée pendant les vacances, on sera assez strict sur le sujet. Il faut lier la réflexion sur la formation continue avec réflexion sur le métier, sur les conditions d’exercices du métier et sur, je dirais, les temps du métier ; nous travaillons plutôt sur l’idée d’un forfait donné aux enseignants, sous une forme ou sous une autre, soit sous forme de décharges de service pendant un certain temps, soit sous forme, comme cela a été évoqué aujourd’hui, de temps sabbatique. L’avantage d’un temps sabbatique c’est que cela peut permettre, quand l’administration veut s’en donner la peine, (et elle y arrive parfois), une prévision pour les remplacements qui est la grande question. Le temps de formation continue sur le temps de classe demande des dispositifs de remplacements qui sont difficiles à mettre en place actuellement et c’est ce qui conduit, d’une certaine façon, à l’autocensure dont je parlais tout à l’heure. Pour nous, il faut réfléchir à des crédits formations sur la carrière, sous une forme ou sous une autre, qui peut se prendre d’un seul coup, ou sous forme de décharges à certains moments permettant de libérer des demi-journées. L’idée est de faire rentrer cela dans quelque chose qui soit effectivement continu sur un temps bien identifié et suffisamment long et non plus sur des actions ponctuelles telles que l’on peut les connaître aujourd’hui.
Suite de la table ronde : interventions, questions et réponses
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