Décès d’André Antibi : Hommages

vendredi 27 mai 2022
par  Chabanol, Marie-Line
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C’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris le décès d’André Antibi survenu le 20 mai 2022.
André, professeur de Mathématiques émérite à Toulouse, avait dirigé l’IREM de Toulouse et avait été président de l’Adirem de 1996 à 1999. . Il était aussi président de Mouvement contre la constante macabre (MCLCM).

Ci-dessous des textes de Michel Henry, Gilles Dammame, Jean Dhombres, Jean-Pierre Raoult et Pierre Terracher en hommage.

Entre 1985 et 1995, j’ai eu le plaisir de travailler avec André Antibi. D’abord comme collègue directeur d’IREM. En marge des réunions et colloques de l’ADIREM, j’aimais les petites soirées de détente quand il se mettait au piano avec Pierre Terracher à la guitare. Mais aussi les échanges parfois vifs et toujours amicaux à propos des théories didactiques alors en plein développements. Je n’ai pas cru au début à l’avenir de la constante macabre, c’était sans compter avec la force de conviction qu’André possédait naturellement. L’avenir lui a donné raison. J’ai aussi beaucoup travaillé avec André quand il a été élu président de l’ADIREM, alors que je venais de créer le comité scientifique à la demande de Marc Fort. Nous avions à donner au réseau des IREM toute l’impulsion nécessaire pour son développement, quand les critiques de certains mathématiciens et de l’administration ministérielle se faisaient entendre. Il faut ici rendre hommage à Adrien Douady et à Jean-Pierre Kahane, membre de l’Institut, qui ont su prendre activement la défense des IREM. Cela justifiait les longues conversations téléphoniques que nous avions, André et moi, deux fois par semaine aux moments les plus chauds. Il y aurait beaucoup d’anecdotes à se rappeler, hélas, l’histoire des IREM, si riche, reste à écrire. J’ai eu la chance et le plaisir d’avoir Jean-Pierre Kahane puis Jean Dhombres comme successeurs, poursuivant avec André le développement du comité scientifique, lui donnant ses lettres de noblesse auxquelles Jean-Pierre Raoult puis Michèle Artigue ont su magnifiquement contribuer.

Michel Henry

en hommage à André je voudrais évoquer trois souvenirs parmi tous ceux que j’ai eus avec lui :
Le premier est lorsque je suis arrivé à ma première ADIREM dont il était alors le président j’ai été agréablement surpris par la convivialité qu’il savait y fait régner et qui est si essentielle pour assumer nos missions de directeur d’IREM.
Le deuxième est lorsque j’ai participé aux journées de l’APMEP en 2005 à Caen à l’atelier qu’il faisait sur la constante macabre :
j’ai pris conscience à ce moment de la justesse et de l’importance de son engagement.
Le troisième est lorsque nous avons organisé ensemble au CIEP à Sèvres le premier colloque international des IREM :
André avait su développer en Amérique du Sud et au Bénélux entre autres, tout un réseau d’IREM et je pense que ce travail a eu une résonance en Amérique latine, et qu’avec des moyens humains et financiers, ce réseau aurait pris une tout autre ampleur.

Voilà André je te souhaite bon vent dans ta nouvelle vie dans l’au-delà que tu sauras égayer avec ton piano ou ta guitare et te dédie ces quelques vers de Brassens :

( Et si l’bon Dieu
Aim’ tant soit peu
L’accordéon (et le piano...)
Au firmament
Tu t’plais sûr’ment
Mon vieux Léon)

Gilles Damamme

Deux disparitions de personnalités marquantes et bien différentes, l’une hélas plus ou moins attendue compte tenu de l’âge, l’autre plus inattendue, permettent les souvenirs, les anecdotes, les rappels d’actions des uns et des autres sur le long terme, et les publications comme les colloques et rencontres ; elles favorisent aussi la réflexion au présent sur ce que les Irems maintiennent. Car justement force est de constater la présence depuis la fondation dans les Irems de caractères marqués, et de personnalités agissantes comme Paul-Louis Hennequin et André Antibi, assez peu sensibles aux compromis de type administratif. Différentes personnalités à coup sûr, et les deux sourient peut-être quelque part en évoquant une « constante macabre ». D’autres évoqueront bien mieux les multiples activités de l’un et de l’autre, et j ene parlerai donc ni de probabilités , ni de didactique des mathématiques. De PLH, j’évoque seulement ici une très longue rencontre, à partir de Saint-Flour puis Clermont-Ferrand ; il m’avait parlé en détail de ce qui avait été la vie de Clermont-Ferrand de 1940 à 1944, me faisant découvrir un texte bourbachique débuté à la rentrée 40 de René de Possel. M’avait frappé sa connaissance intime des uns et des autres, sa large curiosité des caractères, avec un côté professeur Nimbus qui cachait une réelle empathie, et une manière de toujours s’intéresser aux élèves, particulièrement à ceux qui pouvaient avoir des difficultés. D’André Antibi qui me força la main avec la complicité de Jean-Pierre Kahane à redevenir président du Conseil scientifique des Irems, je tiens à saluer l’énergie débordante, la gentillesse enveloppante qui le faisait arriver à ses fins, vous convertir à ses vues, ou disons plutôt éviter qu’une contradiction trop flagrante n’apparaisse. Je suis sûr que Guy Brousseau abondera dans mon sens à ce propos. Mais puisque les deux sont réunis par les Moires implacables, je voudrais souligner leur grande capacité à tous deux à ne pas s’enfermer dans une structure particulière, de savoir chercher constamment d’autres individualités, d’ouvrir toujours en quelque sorte. Cela requiert de grandes qualités, de curiosité, de jugement aussi, et surtout d’une grande générosité.  

Jean Dhombres

Le souvenir de ma première rencontre avec André Antibi est resté pour moi très vivace. Il remonte à trente ans, avant que j’aie des relations organiques avec le réseau des IREM (qui suscitait pourtant déjà chez moi un vif intérêt). C’était en 1992, alors que Lionel Jospin était ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement d’Edith Cresson. Didier Dacunha-Castelle, qui était membre de son cabinet, auprès du « conseiller spécial » qu’était Claude Allègre, avait organisé au ministère une réunion relative à l’enseignement des mathématiques. J’y avais été invité au titre de ma fonction d’alors, qui était d’être, au ministère de la Recherche et de la Technologie, chargé de mission pour les mathématiques. Y participaient aussi André Antibi, qui représentait l’ADIREM (il n’en était alors pas encore le président) et Jean-Pierre Kahane, président du comité scientifque des IREM. La réunion, que son organisateur voulait très opérationnelle, se déroulait sur un plan très technique quand André Antibi est intervenu vigoureusement pour s’indigner que l’on ne se préoccupe pas véritablement des moyens sans lesquels les plus belles résolutions resteraient lettre morte et pour plaider notamment en faveur des IREM qui semblaient être tenus à l’écart du débat alors qu’ils étaient un lieu privilégié de connaissance des vrais besoins de l’enseignement de notre discipline. Il y avait tout André dans cette intervention : une certaine manière de mettre les pieds dans le plat et la volonté de rappeler que les acteurs de terrain doivent avoir toute leur place dans l’édifice institutionnel complexe de l’éducation nationale pour y faire reconnaître ce que sont les besoins éducatifs des jeunes.

Ensuite j’ai mieux connu André quand je suis entré, en 2001, dans le comité scientifique des IREM et surtout quand j’ai présidé celui-ci de 2004 à 2011. C’était toujours la même énergie et le même souci d’être au plus près des jeunes pour créer les conditions scientifiques, mais aussi psychologiques, de leur succès dans leurs études, en déclinant cela dans le contexte particulier de l’éducation mathématique. D’où sa passion pour ce qu’il a appelé « l’évaluation par contrat de confiance ». Ce mot de « confiance » étant visiblement central dans la conception du rapport pédagogique qui était celle d’André, mais sans doute aussi, plus généralement, dans sa conception des rapports humains.

Au fil de séminaires annuels des IREM, pendant une douzaine d’année, j’ai pu voir, avec un mélange d’admiration pour sa persévérance, d’amusement devant sa faconde et parfois d’un brin d’agacement devant sa monomanie quant à la « constante macabre », André se battre pour ses convictions. Et j’ai pu l’entendre aussi, puisque dans ces occasions il nous faisait profiter de ses talents de musicien.
Les souvenirs que je garde d’André restent une part des plus plaisantes du bagage que j’ai ramené de ma période d’implication auprès des IREM.

Jean-Pierre Raoult

Cher André.

Toi et moi le savons bien : il est des circonstances où les mots sont dérisoires, maladroits peut-être, mais que rien ne peut retenir.
Nous y sommes et je vais essayer de faire de mon mieux.
Tu étais généreux, inventif et drôle. Voilà en deux mots* ce qui guiderait ma pensée pour te rendre hommage, en soulignant cette manière bien à toi de partager en toute sincérité les évènements, des plus anecdotiques aux plus insignes, qui pouvaient survenir dans ta vie, celle de tes proches, de tes amis et bien d’autres aussi.
Mais d’une part, ma mémoire se brouille hélas, et ce sont plutôt les à peu prés, les incertains qui sont en première ligne et d’autre part, je me doute que tu préfèrerais que « j’assure » en évoquant simplement notre amitié.
Une amitié robuste, altruiste, pimentée des saines chamailleries qui vont avec, qu’une passion commune pour l’enseignement des Mathématiques et la Musique, entre autres, avait permis d’enraciner.
Et malgré cela, reste une énigme que je n’ai jamais résolue qui concerne la maîtrise insensée de tes horloges.
Où trouvais tu le temps de conduire de front ces innombrables activités avec une constante sérénité où tout paraissait échapper à l’urgence : enseignant,
chercheur, inventeur inspiré (constante macabre, mais pas que), auteur de manuels scolaires, d’ouvrages sur l’enseignement des Mathématiques, éditeur, directeur d’Irem, responsable de commissions inter-Irem (Rallye, Objectifs et niveaux d’approfondissements puis Second cycle, Commission internationale,…), Président de l’assemblée des directeurs d’Irem, animateur de débats et conférencier (auprès d’enseignants, de chefs d’Etablissements… en France et à l’étranger), et puis chef d’orchestre, auteur compositeur, chanteur, musicien (violoniste, pianiste, guitariste, saxophoniste), etc. sans jamais desserrer les liens avec tes amis, ta famille, tes proches les plus intimes ?
Ce temps que tu semblais multiplier à l’infini est aussi troué d’histoires devenues maintenant les souvenirs qui ne sont pas prêts à s’effacer.
Je n’en évoquerai que deux, toutes les autres ou presque venant s’installer dans leurs traces.
(*) Rappelle toi : « Il existe trois sortes de Mathématiciens, ceux qui savent compter et ceux qui ne le savent pas. »Tu avais proposé lors d’une séance de la commission inter-irem Second Cycle (la date importe peu) un exposé sobrement intitulé « Les distributions ». Il faut bien l’avouer, nous le trouvions a priori peu en rapport avec les préoccupations de la commission.
Erreur.
Domaine énigmatique et/ou souvenirs précaires faisaient que ton auditoire se partageait dans sa presque totalité entre ceux qui ne connaissaient rien à cette affaire et ceux qui n’y connaissaient pas grand-chose.
Tu trouvas là le terrain voulu qui allait te permettre d’effectuer une démonstration éblouissante de didactique concernant l’apprentissage d’une notion inexplorée, didactique débarrassée de ses dogmes sentencieux, qui ne souffrait d’aucune lacune ni sur les « comment », les « pourquoi » et autres interrogations, ni sur les rapports d’étape millimétrés dans le temps.
Bref, un exposé porteur d’échappée belle et une didactique qui donnait l’idée de s’en réclamer.
Du grand art André.
Autre (quoi que…) fût cette soirée de l’assemblée des directeurs d’ Irem à Arcachon, en juin 2013, où nous avons interprété en duo complice, toi au saxophone et moi à la guitare le Concerto d’Aranjuez avec quelques variations improvisées. Chacun sait que ce morceau de la musique classique ne se prête pas vraiment au divertissement. Mais de là à imaginer…
Je me souviens parfaitement avoir cesser de jouer, tétanisé par ton saxo déboulant en force puis se ravisant vers des tempos plus étirés et des sonorités plus feutrées.
Et nous sommes d’accord : seuls les « insensibles au sublime » vont trouver que j’exagère.
Mais ce soir là, il n’y en avait pas ; pas un bruit, pas un mot, seul le saxo.
Et je ne peux faire l’impasse sur ton « numéro de charme » quand tu éprouvais quelques difficultés à faire accréditer un argument, une idée : sourire imperceptible ou presque, regard légèrement étonné, voix adoucie, l air de ne plus vouloir trop y toucher et l’on se retrouvait convaincu sans jamais avoir éprouvé le sentiment de se soumettre.
Ni sur ta placide indifférence à mes suppliques quand je t’adjurais de cesser de faire le cocardeau en mettant obstinément des glaçons dans le vin de Bordeaux.
Et maintenant ?
Tout ça est déjà à l’arrière plan et il m’est vain de croire que l’histoire est truquée et d’espérer que les jours vont reculer.
Mais, impossible d’en rester là, sans un mot sur ta propre mort qui pour l’instant nous sépare.Tu as été un bon candidat à la resquille pendant longtemps, à tel point que je te croyais invincible, et puis un soir de mai, du côté de Nice, tu as brutalement rompu avec cette bonne habitude vielle de presque 78 années.
Tu as beau me dire que tu fais partie de ceux qui s’éloignent pour mieux revenir, je te jure que pour une fois, ce n’était pas une bonne idée.
Mais je te pardonne la dernière et la pire de tes absences.
On pardonne tout à un ami.
Pierre.

Pierre Terracher

Hommage du MCLCM


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