Article de Michèle Artigue dans la CFEM

samedi 21 juin 2014
par  Artigue, Michèle
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Quelques réflexions sur l’attractivité des mathématiques

Michèle Artigue, le 4 décembre 2013

Ce texte a été écrit en introduction à l’une des rencontres que l’Inspection générale de mathématiques a organisées, avec l’ensemble des composantes de la CFEM, sur le thème de l’attractivité des mathématiques.

L’entrée par la question de l’attractivité

Il me semble important de pointer, en accord avec tous ceux qui se sont exprimés jusqu’ici, les limites d’une entrée par l’attractivité des mathématiques pour aborder les problèmes complexes qui sont ceux de l’enseignement des mathématiques. D’une part, contrairement à ce que laisse supposer le titre du film « Comment j’ai détesté les mathématiques », les études menées sur les rapports des élèves aux différentes disciplines, au moins en France, ne tendent pas à montrer que les mathématiques se singularisent par une détestation particulière, même si elles donnent lieu bien plus que d’autres disciplines à des positions contrastées. En revanche, il semble bien y avoir une érosion sensible de l’intérêt pour cette discipline au fil de la scolarité secondaire, notamment au collège, mais pas forcément plus que pour d’autres disciplines, et peut-être plus encore me semble-t-il une érosion de la confiance des élèves dans leur capacité à continuer à réussir dans cette discipline. Le fait que les mathématiques soient particulièrement cumulatives y contribue de façon indéniable. Mais il me semble aussi que, culturellement, l’idée que certains apprentissages mathématiques soient des occasions de décrochage, après lesquels on cesse définitivement de comprendre à quel jeu on joue et comment on y joue, est particulièrement incrustée et vue comme une fatalité. Cela n’est en rien récent. Or ces apprentissages sont souvent estampillés collège : entrée dans l’algèbre, démonstration en géométrie. Il y a sans doute d’importantes marges de manœuvre à ce niveau car s’agissant d’apprentissage de l’algèbre ou de rationalité mathématique, nous sommes beaucoup mieux outillés aujourd’hui que nous ne l’étions il y a 20 ou 30 ans et nous savons bien qu’il n’y a là nulle fatalité, à condition d’avoir des stratégies didactiques adaptées. Mais cette connaissance n’a pas jusqu’ici influé suffisamment sur les pratiques. On retombe inévitablement sur les questions de formation initiale et continue, d’accompagnement des évolutions de pratiques souhaitées. Changements curriculaires, documents d’accompagnements sont insuffisants à produire des évolutions substantielles et durables. Voir plus bas.

L’attractivité des filières scientifiques

Au niveau de l’enseignement secondaire, nous sommes un pays où la filière scientifique, la filière S, est une filière attractive car considérée comme filière d’excellence ouvrant toutes les portes. Le pourcentage d’élèves choisissant cette filière ne semble pas décroître et il semble difficile d’affirmer qu’il y a un problème d’attractivité de la filière S. Les taux de réussite au baccalauréat y sont excellents, le nombre de mentions a explosé. En revanche, et je suis là encore d’accord avec Pierre Arnoux, ce qui est problématique c’est la baisse régulière du nombre d’élèves choisissant la spécialité mathématiques dans cette filière. S’il y a un problème d’attractivité c’est celui de cette spécialité, mais est-il lié aux mathématiques en tant que sciences et aux programmes ? Il réside bien plus dans la différence des modes d’évaluation et des notes obtenues pour les différentes spécialités au baccalauréat. Cela fait des années que le problème est diagnostiqué. Il a des répercussions évidentes au niveau de la licence.

Une situation qui, indépendamment des questions d’attractivité, n’est pas satisfaisante

Qu’il y ait ou non problème d’attractivité des mathématiques, il n’en demeure pas moins que l’on ne peut se satisfaire de l’état actuel de l’enseignement des mathématiques. Trop d’élèves terminent l’enseignement élémentaire sans les connaissances nécessaires pour profiter de l’enseignement du collège. Les résultats de PISA nous montrent encore cette année des résultats au mieux moyens et surtout des écarts insupportables et confirmer leurs déterminants sociologiques. On empile l’enseignement de notions sans que les élèves sachent à quelles questions elles peuvent bien répondre. Les programmes sont remplis depuis des années de belles déclarations et injonctions concernant les pratiques pédagogiques à mettre en œuvre, mais elles ne se concrétisent guère plus qu’avant dans la réalité des classes. Pourtant, pour essayer d’améliorer les choses, nous ne sommes pas sans ressources. Voir par exemple pour ce qui concerne le numérique et l’algèbre, les synthèses produites pour la conférence qui s’est tenue à l’Institut Français de l’Éducation en mars 2012.

Amorce de questionnement

Pédagogie inversée

Attention au n-ième remède miracle ! Il existe depuis longtemps des exemples a priori proches de ce que l’on qualifie aujourd’hui de pédagogie inversée, mais au niveau universitaire et il faut les étudier de près pour voir les leviers qui y sont exactement exploités (voir par exemple l’étude ICMI de 2001 sur l’enseignement universitaire). La transposition au niveau secondaire ne va pas du tout de soi. Sa promotion risque d’être dangereuse, en mettant en avant des pratiques qui ne sont accessibles qu’à un petit nombre d’enseignants et de contextes, au détriment d’actions peut-être moins médiatiques mais qui pourraient avoir un impact beaucoup plus large et soutenir des dynamiques d’évolution bien plus réalistes. On ne peut envisager de promouvoir de telles pédagogies sans poser et gérer la question des ressources, leur conception, réalisation et dissémination, sans évaluer le travail requis des enseignants pour mettre en place une telle pédagogie qui risque d’être dramatiquement sous-estimé, les conditions d’implémentation, et le risque d’aggraver les inégalités scolaires. Il ne faut pas oublier qu’une des causes importantes d’échec dans les populations défavorisées est la non compréhension des codes et des implicites des jeux scolaires, comme le montrent régulièrement les travaux de l’équipe ESCOL de Paris 8. Il y a des façons plus accessibles et moins risquées d’exploiter les potentialités du numérique pour l’apprentissage et l’enseignement des maths.
Le numérique et une didactique plus imaginative
Je n’aime pas trop la façon dont la question est formulée, ce n’est pas une question à mon avis de didactique plus imaginative mais de didactique sachant exploiter les nouveaux moyens dont elle dispose, en s’appuyant dans ce domaine comme dans tous les autres sur les connaissances capitalisées par le biais de la recherche et des expérimentations contrôlées. Et il y en a ! Je comprends que, s’agissant du numérique, du fait des évolutions rapides qui en résultent dans l’accès à l’information, dans les modes de communication et d’interaction, dans les stratégies cognitives, on accorde à l’innovation plus d’attention que dans d’autres domaines. Mais si l’on en reste au niveau du soutien à l’innovation, au repérage et à la diffusion de ce qui change marcher, sans généralement se donner les moyens de savoir jusqu’à quel point cela marche, pourquoi et sous quelles conditions, il y a peu de chances de voir changer les choses de façon durable.

Le dynamisme du périscolaire

Nous avons la chance en France d’avoir un ensemble très riche d’activités périscolaires en mathématiques et un investissement important de la communauté mathématique dans des actions de popularisation des mathématiques. De plus, contrairement à d’autres pays, ces actions ne se limitent pas à la recherche de talents mathématiques, mais beaucoup d’entre elles visent à susciter l’intérêt pour les mathématiques de toutes les catégories d’élèves. Elles sont plus orientées vers une vision collaborative que compétitive des mathématiques. C’est une chance et il faut soutenir bien sûr ces activités, les rendre visibles et essayer de faire qu’elles soient accessibles à un nombre croissant d’élèves, car elles peuvent contribuer à susciter l’intérêt pour les maths, donner confiance aux élèves dans leur capacité d’en faire, les mettre en contact avec des questions plus proches des mathématiques actuelles et des applications actuelles des mathématiques, donner une autre vision des maths en relâchant les contraintes. Elles mettent en jeu des pédagogies différentes qu’il est intéressant d’essayer de caractériser et dont il est intéressant d’étudier les effets. C’est dans cet esprit que l’ADIREM a décidé de refonder la commission inter-IREM Rallyes et Jeux et procède actuellement à un recensement de toutes les activités de popularisation des mathématiques menées dans les IREM et que des recherches se sont mises en place autour des stages Hippocampe. Oui bien sûr, il faut en parler dans les ESPE. Mais, ce n’est cependant pas dans ces actions, à la périphérie du système, qu’il faut chercher la solution principale aux problèmes de l’enseignement des mathématiques, et il faut éviter que s’installe pour les élèves, une cassure entre des activités périscolaires qui donneraient une image attrayante et valorisante de l’activité mathématique et un enseignement qui, lui, serait à l’opposé. Comme le dit Luc Trouche, il faut travailler sur le cœur de l’enseignement, et ce cœur c’est la classe au quotidien.

Les programmes

Il est sûr que nos programmes sont très détaillés quand on les compare aux programmes de pas mal de pays et qu’en principe ils cadrent fortement l’enseignement. Ceci n’empêche cependant pas des différences importantes entre établissements et même entre classes au sein de certains établissements. Mais ce n’est pas en changeant les programmes que l’on va changer la dimension cumulative des mathématiques, au moins pour ce qui concerne la scolarité de base. Il me semble qu’il faut aussi prendre acte de la diversification positive des programmes du lycée suivant les filières, qui ne s’opère pas par simple réduction des programmes de la série S, et aussi du fait que nous avons su garder un certain équilibre entre une vision en termes de contenus et une vision en termes de compétences, comparativement à d’autres pays. Aujourd’hui, il me semble que, au moins pour le primaire et le collège, ce ne sont pas les changements de programmes qui sont prioritaires, même si effectivement on peut penser que ce serait bien d’aller vers moins de prescriptif et plus d’initiative pour les équipes enseignantes, et s’il faut repenser le socle commun et son articulation avec les programmes et l’évaluation en fin de troisième. Mais il ne faut pas nier qu’il s’agit là d’un véritable changement culturel qu’il faudra accompagner. Il me semble aussi que, pour que ce soit positif, il faut que la conception du métier d’enseignant, des rapports hiérarchiques change, que tout cela devienne plus collaboratif et participatif. Il y a du chemin à faire.

Autres points

L’évaluation

Quoi qu’on en dise, nous sommes dans un pays où, comparativement à d’autres, la pression de l’évaluation reste encore limitée, et il faut veiller à ce que cette pression ne s’aggrave pas. On connaît bien aujourd’hui les effets pervers de programmes comme « No Child Left Behind » aux USA sur les populations les plus fragiles. Les résultats de projets européens comme Primas et Fibonacci montrent bien aussi que les modes usuels d’évaluation sont des obstacles majeurs à la dissémination à grande échelle des démarches d’investigation dans beaucoup de pays européens. Nos modes d’évaluation certificative acceptent aussi, comparativement à d’autres, une certaine diversité. Il n’en demeure pas moins qu’il faut agir sur notre rapport à l’évaluation. Même sans adhérer totalement aux positions d’André Antibi (qui a introduit la notion de constante macabre, contraignant selon lui les évaluations scolaires du travail des élèves), il est clair que nous avons une vision de l’évaluation insuffisamment diagnostique et formative, et souvent essentiellement négative. Nous sommes plus sensibles à la distance qui sépare des objectifs à atteindre qu’aux progrès réalisés par les élèves, même ténus, et nous sommes plus à l’aise dans la critique que dans l’encouragement. Cela va au-delà des mathématiques, c’est ancré dans la culture, mais c’est un levier décisif pour éviter le décrochage. Brigitte Grugeon a beaucoup d’éléments à apporter sur ce point, vu les travaux qu’elle développe depuis des années et le projet qu’elle porte et vient d’être retenu par l’ANR (présentation du projet dans le bulletin de décembre de la CFEM, p. 5). Et c’est aussi un sujet sur lequel les IREM vont spécialement travailler.

La formation des enseignants

Beaucoup de choses ont déjà été dites mais c’est une question cruciale donc il n’est pas inutile d’en rajouter une couche. De plus, c’est une des missions essentielles des IREM. 
La formation initiale des enseignants a été très bouleversée ces dernières années et c’est encore un chantier. Difficile d’y voir très clair, mais il faut absolument améliorer la formation mathématique et didactique des enseignants du primaire et du personnel d’encadrement de ces enseignants. Les heures qui semblent aujourd’hui octroyées à la formation mathématique et didactique dans les maquettes de master ne peuvent absolument pas permettre d’avoir des enseignants ayant reconstruit un rapport positif à cette discipline, et ayant les connaissances nécessaires pour les enseigner et accompagner efficacement les apprentissages des élèves. Une formation continue même correctement organisée ne peut pallier à elle seule les déficits de la formation initiale, et elle n’est pas là pour cela. Il faut aussi sans aucun doute privilégier les licences pluridisciplinaires pour ne pas systématiquement concentrer tous les efforts sur les années de master.

La formation continue des enseignants est sinistrée et à repenser complètement.

Quelques points sans développement et sans hiérarchie de priorité

Une des fonctions de la formation continue des enseignants du secondaire devrait être de maintenir leur contact avec les mathématiques vivantes et les applications actuelles des mathématiques dans l’esprit du projet Felix Klein de l’ICMI. Sur le projet Klein, lire aussi la conférence que Michèle Artigue a faite à Grenoble, le 24 octobre 2011, lors des Journées nationales de l’APMEP : Mathématiques actuelles et enseignement des mathématiques : quelles synergies ? Sinon, il semble difficile qu’ils puissent aider leurs élèves eux-mêmes à voir les mathématiques comme une science vivante et en prise sur les problèmes de la société. Cela peut aussi aider les enseignants à mieux percevoir la raison d’être des mathématiques qu’ils enseignent.
La formation devrait s’appuyer beaucoup plus systématiquement sur les acquis de la recherche. Ceci suppose bien sûr que ces derniers soient identifiés, mais c’est loin d’être suffisant pour faire des acquis de la recherche des outils productifs pour la formation des enseignants. Ce qui est aussi en jeu, c’est une autre conception de la dissémination des résultats et des ressources, des rapports entre formation continue et terrain.
La formation devrait être pensée pour contribuer à briser l’isolement du métier d’enseignant. Toutes les études montrent que les évolutions productives et durables passent par la construction d’équipes, de communautés, avec le soutien de chercheurs, la construction de réseaux, et leur élargissement progressif, par un travail conçu comme collaboratif.
La nécessité de rompre avec certaines formes de discours et oppositions simplistes, entre pédagogies transmissives et constructives, entre l’apprentissage de concepts et celui de techniques. Prendre en compte ce que l’on sait aujourd’hui des pratiques enseignantes, de la façon dont elles se forment et évoluent, et du travail de l’enseignant.


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